Edito

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Lisa Vignoli
Marseille réveille les clichés. Certains sont très tenaces : le soleil, le pastis, un sens prononcé de l’exagération, par exemple. D’autres moins évidents mais tout de même bien présents. La “cité phocéenne” (l’appeler ainsi est déjà un mauvais départ) serait “rebelle”. On l’aimerait “autant qu’on la déteste”.

J’ai moi-même déjà utilisé cette dernière phrase dans une interview au sujet de ma ville natale et je le regrette. C’est une manière un peu facile, un peu courte aussi de dire sa complexité, ses contrastes et finalement de balayer ses inégalités. J’y suis née à la fin des années 80, y ai grandi dans la décennie 90 et n’y habitais plus quand s’est achevée celle de 2000. De cette période, je n’ai pas de souvenirs de grand monde parlant anglais, allemand ou d’autres langues qui auraient signifié la présence de touristes. Quand elle n'inquiétait pas le monde extérieur, Marseille intriguait mais pas au point de venir s’y frayer. Nous autres qui la connaissions, la regardions comme une fille à la beauté brute mais peu soignée. Une nana sexy en diable mais invivable. Le genre de maladroite qui casse tout objet sur son passage, fume au lit, mais dont on ne peut s’empêcher de tomber raide dingue. 


Ces dernières années, notamment depuis qu’elle a été nommée capitale européenne de la culture en 2013, le monde a posé sur elle un regard moins tranché. Ça y est, elle attirait. D’ailleurs, elle avait désormais de beaux musées qu’on regardait et, moi qui l’avais depuis longtemps quittée, j’observais ces étrangers me demander où il fallait rester, dîner, se balader. Je délivrais alors les plus beaux coins, parfois quelques endroits cachés, et, de retour de week-end, les voyageurs comblés me remerciaient. Ils étaient allés piquer une tête à Samena, marcher jusqu’après Callelongue, courir sur la Corniche, dîner d’un poisson grillé au milieu des bateaux aux Goudes, déjeuner dans le jardin frais d’un restaurant huppé, acheter des épices, humer la fleur d’oranger d’un four et visiter un centre d’art contemporain précis établi dans une zone franche. Ils avaient bu du vin orange sur une petite place non loin du Vieux-Port, apprécié les rénovations du Musée Cantini, aimé cette librairie voûtée. Ils ne s’étaient pas plaints du prix des objets chez le quincailler ni même des embouteillages en rentrant de la plage. En écoutant leur récit tiré de mes bons conseils, c’est vrai qu’elle me manquait cette bombe au vernis écaillé. Mais que voyaient-ils d’elle tous ces gens de passage ? Et moi-même, est-ce que je la connaissais vraiment ? 


Pendant que le centre-ville se gentrifiait, au milieu d’une de ses rues, en 2018, deux immeubles s’effondraient. C’était la fin d’une époque, du règne d’une cour qui l’avait abandonnée, on disait. En 2020, la gauche élue ne la laisserait plus tomber. Tout le monde y croyait. Le même été, Arte diffusait un documentaire réalisé par une figure marseillaise, le journaliste Prix Albert Londres, Philippe Pujol. Son film Péril sur la ville - aux images esthétiques de Steeve Calvo - montrait le quartier Saint-Mauront, dans le troisième arrondissement. La vie dans l’un des faubourgs les plus pauvres de France avec des bouches à incendie que les habitants trafiquent pour se rafraîchir à leur jet d’eau. J’avouais, je n’y avais jamais mis les pieds. Pas non plus dans d’autres coins sublimés par les photographies de Yohanne Lamoulère. Grâce à eux, engagés qui m’ouvraient les yeux, à chacune de mes venues j’allais découvrir ces lieux oubliés. Au Nord, à l'Ouest, ailleurs. Par endroits, la ville se débattait. Ses fragilités la rendaient plus admirable encore. Arriverait-elle un jour à vivre tout entière au même rythme ? C’était naïf et innocent ces rêves sans disparités. Mais la connaître mieux n’empêchait pas de l’aimer en entier. Marseille, on l’aime autant qu’on l’aime.

J’ai moi-même déjà utilisé cette dernière phrase dans une interview au sujet de ma ville natale et je le regrette. C’est une manière un peu facile, un peu courte aussi de dire sa complexité, ses contrastes et finalement de balayer ses inégalités. J’y suis née à la fin des années 80, y ai grandi dans la décennie 90 et n’y habitais plus quand s’est achevée celle de 2000. De cette période, je n’ai pas de souvenirs de grand monde parlant anglais, allemand ou d’autres langues qui auraient signifié la présence de touristes. Quand elle n'inquiétait pas le monde extérieur, Marseille intriguait mais pas au point de venir s’y frayer. Nous autres qui la connaissions, la regardions comme une fille à la beauté brute mais peu soignée. Une nana sexy en diable mais invivable. Le genre de maladroite qui casse tout objet sur son passage, fume au lit, mais dont on ne peut s’empêcher de tomber raide dingue. 


Ces dernières années, notamment depuis qu’elle a été nommée capitale européenne de la culture en 2013, le monde a posé sur elle un regard moins tranché. Ça y est, elle attirait. D’ailleurs, elle avait désormais de beaux musées qu’on regardait et, moi qui l’avais depuis longtemps quittée, j’observais ces étrangers me demander où il fallait rester, dîner, se balader. Je délivrais alors les plus beaux coins, parfois quelques endroits cachés, et, de retour de week-end, les voyageurs comblés me remerciaient. Ils étaient allés piquer une tête à Samena, marcher jusqu’après Callelongue, courir sur la Corniche, dîner d’un poisson grillé au milieu des bateaux aux Goudes, déjeuner dans le jardin frais d’un restaurant huppé, acheter des épices, humer la fleur d’oranger d’un four et visiter un centre d’art contemporain précis établi dans une zone franche. Ils avaient bu du vin orange sur une petite place non loin du Vieux-Port, apprécié les rénovations du Musée Cantini, aimé cette librairie voûtée. Ils ne s’étaient pas plaints du prix des objets chez le quincailler ni même des embouteillages en rentrant de la plage. En écoutant leur récit tiré de mes bons conseils, c’est vrai qu’elle me manquait cette bombe au vernis écaillé. Mais que voyaient-ils d’elle tous ces gens de passage ? Et moi-même, est-ce que je la connaissais vraiment ? 


Pendant que le centre-ville se gentrifiait, au milieu d’une de ses rues, en 2018, deux immeubles s’effondraient. C’était la fin d’une époque, du règne d’une cour qui l’avait abandonnée, on disait. En 2020, la gauche élue ne la laisserait plus tomber. Tout le monde y croyait. Le même été, Arte diffusait un documentaire réalisé par une figure marseillaise, le journaliste Prix Albert Londres, Philippe Pujol. Son film Péril sur la ville - aux images esthétiques de Steeve Calvo - montrait le quartier Saint-Mauront, dans le troisième arrondissement. La vie dans l’un des faubourgs les plus pauvres de France avec des bouches à incendie que les habitants trafiquent pour se rafraîchir à leur jet d’eau. J’avouais, je n’y avais jamais mis les pieds. Pas non plus dans d’autres coins sublimés par les photographies de Yohanne Lamoulère. Grâce à eux, engagés qui m’ouvraient les yeux, à chacune de mes venues j’allais découvrir ces lieux oubliés. Au Nord, à l'Ouest, ailleurs. Par endroits, la ville se débattait. Ses fragilités la rendaient plus admirable encore. Arriverait-elle un jour à vivre tout entière au même rythme ? C’était naïf et innocent ces rêves sans disparités. Mais la connaître mieux n’empêchait pas de l’aimer en entier. Marseille, on l’aime autant qu’on l’aime.

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