Edito

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Edito
Lisa Vignoli
Pour les besoins d’un livre, j’ai passé de longs mois à imaginer un personnage féminin. Au départ, je n’avais que peu d’idée de ce que je voulais qu’elle soit : son caractère, son physique, son statut même m’intéressaient étrangement assez peu. Mais j’avais une obsession : je la voulais dans une sorte de déambulation à Saint-Tropez (qui devenait, de fait, un personnage du roman). Je souhaitais qu’elle soit une jeune femme attachée à ce village où elle se trouvait depuis toujours, encore émue par ses couleurs et nostalgique des étés passés là. Pour le reste, pas grand chose. Ce n’était pas assez, me direz-vous, pour une héroïne. Qu’est-ce qu’une héroïne d’ailleurs ? Faut-il forcément afficher de super pouvoirs ou des caractéristiques hors du commun pour être au centre d’une histoire ? Une héroïne peut être ce qu’on veut. Elle peut être plus grande que la vie, quotidienne, discrète, spectaculaire, profondément humaine ou odieuse et tout un tas d’autres choses. On peut l’admirer et qu’elle devienne un mythe ou être seul à la remarquer et qu’elle ne quitte jamais notre esprit.

Me mettant moi-même dans une certaine déambulation pour mieux raconter la sienne, je pensais alors à toutes les héroïnes passées ici. Il y en avait d’évidentes dont on disait même qu’elles avaient “fait” Saint-Tropez. BB qui, pour beaucoup, l’aurait “créé” en 1956. Françoise Sagan, qui, deux ans auparavant disait pourtant “ici, c’est plus comme avant”. Et d’autres illustres dénommées Juliette, Romy, Michèle, ou encore Annabel…


Dans les ruelles, apparaissaient alors des personnalités moins célèbres certes, mais qui avaient marqué mon paysage tropézien depuis que je l’arpentais. Au pied de chez moi, le souvenir de Margot Barbier, longtemps propriétaire de l’hôtel voisin qui m’invitait autour d’une table nappée de jaune pâle à manger des biscuits secs en me racontant des histoires que mon jeune âge ne comprenait pas toujours. Je remontais alors la rue des remparts jusqu’à celle de la Miséricorde avant de rejoindre la rue Gambetta. Si j’allais à gauche, le souvenir de Roseline Moreu qui, pendant 41 ans, a tenu les galeries tropéziennes, me faisait signe. Je prenais à droite et c’était désormais celui d’Eugénie qui m’appelait. Eugénie n’était pas forcément sympathique mais était à la tête d’un bazar, mine d’or insoupçonnée du monde des adultes. Les ballons qu’elle vendait, accrochés dehors, illuminaient nos yeux d’enfants, les autres les voyaient-ils seulement ? Tout droit, si je continuais rue des commerçants, j’aperçevais Renée Fuchs qui me faisait entrer dans la chaleur de sa cuisine, et, après le service, prenait le temps, dans le restaurant familial, de me donner la recette de ses petits paquets de courgettes au chèvre frais. Aujourd’hui, Roseline a disparu, Eugénie n’est plus là et Renée n’exerce plus mais me fait de grands gestes depuis sa terrasse lorsqu’elle m’aperçoit.


Mais il y a, en descendant vers le Port et dans le premier recoin de la place de la Garonne, le lavoir, cette blanchisserie pleine à craquer dans laquelle Andrée s’active encore. Elle sait des histoires que l’on ne connaît pas, retenues dans des vêtements que des passagers de bateaux ont laissés là et des habits de bravade riches comme des héritages. Elle est une résistante comme peu à Saint-Tropez, n’ayant jamais cédé son espace aux propositions les plus luxueuses. En empruntant le passage du Marché aux poissons, j’aperçois alors les filles du Vivier du Cepoun, présentes toute l’année dans le froid, le vent ou la panique de l’été. Me voilà maintenant Place aux herbes où je croise ma mère qui, passé 60 ans, n’a pas eu peur d’enfiler un tablier pour un métier qu’elle n’a jamais fait, aux côtés de Carmen qui, depuis des années au sein de cette même fromagerie a choisi de ne pas déserter. Il ne me restait plus qu’à aller voir ma grand-mère qui repose non loin de là, face à la mer. En cherchant mon héroïne, j’avais fait le tour des miennes ici.


Quand j’arrivais à cette conclusion, l’Hôtel de ville me faisait face. À l’intérieur, se trouvait Sylvie Siri, première femme à occuper le grand fauteuil. D’elle, j’apprenais alors qu’elle préférait être appelée Madame Le maire, avait mené, avant d’accompagner et prendre la succession de l’ancien édile, une vie de banquière, de mère et une autre à se démener dans le milieu associatif. Elle a rejoint la fonction dans une situation de pandémie mondiale mais ne renonce pas à ses ambitions : faire revivre le cinéma-théâtre de la Renaissance, adapter la ville au développement durable, se pencher sur la qualité de vie des tropéziens tout au long de l’année... Il y avait ces chantiers et bien d’autres. Elle n’était pas inquiète. “Il faut garder en mémoire que, même dans les temps anciens, dans un port aussi florissant que l’était notre cité, où le commerce maritime et la navigation au long cours tenaient une place prépondérante, lorsque les maris, les fils, les frères partaient en mer, parfois, pour de très longs périples, c’étaient les femmes qui géraient les affaires familiales” me dit-elle pour que je n’oublie pas l’importance du rôle des femmes à Saint-Tropez. Nous étions sur la même longueur d’onde. Je lui posais alors cette toute dernière question qui me tient à cœur : que préférait-elle faire dans la ville quand elle ne travaillait pas ? “Le tour de la Citadelle en surplombant Les Canebiers, les Graniers, la Ponche, redescendre par le Cimetière jusqu’à la plage. C’est juste sublime. Enfant, c’était mon quartier.” Une déambulation sur la terre de ses souvenirs, en quelque sorte. Comme mon héroïne.

Me mettant moi-même dans une certaine déambulation pour mieux raconter la sienne, je pensais alors à toutes les héroïnes passées ici. Il y en avait d’évidentes dont on disait même qu’elles avaient “fait” Saint-Tropez. BB qui, pour beaucoup, l’aurait “créé” en 1956. Françoise Sagan, qui, deux ans auparavant disait pourtant “ici, c’est plus comme avant”. Et d’autres illustres dénommées Juliette, Romy, Michèle, ou encore Annabel…


Dans les ruelles, apparaissaient alors des personnalités moins célèbres certes, mais qui avaient marqué mon paysage tropézien depuis que je l’arpentais. Au pied de chez moi, le souvenir de Margot Barbier, longtemps propriétaire de l’hôtel voisin qui m’invitait autour d’une table nappée de jaune pâle à manger des biscuits secs en me racontant des histoires que mon jeune âge ne comprenait pas toujours. Je remontais alors la rue des remparts jusqu’à celle de la Miséricorde avant de rejoindre la rue Gambetta. Si j’allais à gauche, le souvenir de Roseline Moreu qui, pendant 41 ans, a tenu les galeries tropéziennes, me faisait signe. Je prenais à droite et c’était désormais celui d’Eugénie qui m’appelait. Eugénie n’était pas forcément sympathique mais était à la tête d’un bazar, mine d’or insoupçonnée du monde des adultes. Les ballons qu’elle vendait, accrochés dehors, illuminaient nos yeux d’enfants, les autres les voyaient-ils seulement ? Tout droit, si je continuais rue des commerçants, j’aperçevais Renée Fuchs qui me faisait entrer dans la chaleur de sa cuisine, et, après le service, prenait le temps, dans le restaurant familial, de me donner la recette de ses petits paquets de courgettes au chèvre frais. Aujourd’hui, Roseline a disparu, Eugénie n’est plus là et Renée n’exerce plus mais me fait de grands gestes depuis sa terrasse lorsqu’elle m’aperçoit.


Mais il y a, en descendant vers le Port et dans le premier recoin de la place de la Garonne, le lavoir, cette blanchisserie pleine à craquer dans laquelle Andrée s’active encore. Elle sait des histoires que l’on ne connaît pas, retenues dans des vêtements que des passagers de bateaux ont laissés là et des habits de bravade riches comme des héritages. Elle est une résistante comme peu à Saint-Tropez, n’ayant jamais cédé son espace aux propositions les plus luxueuses. En empruntant le passage du Marché aux poissons, j’aperçois alors les filles du Vivier du Cepoun, présentes toute l’année dans le froid, le vent ou la panique de l’été. Me voilà maintenant Place aux herbes où je croise ma mère qui, passé 60 ans, n’a pas eu peur d’enfiler un tablier pour un métier qu’elle n’a jamais fait, aux côtés de Carmen qui, depuis des années au sein de cette même fromagerie a choisi de ne pas déserter. Il ne me restait plus qu’à aller voir ma grand-mère qui repose non loin de là, face à la mer. En cherchant mon héroïne, j’avais fait le tour des miennes ici.


Quand j’arrivais à cette conclusion, l’Hôtel de ville me faisait face. À l’intérieur, se trouvait Sylvie Siri, première femme à occuper le grand fauteuil. D’elle, j’apprenais alors qu’elle préférait être appelée Madame Le maire, avait mené, avant d’accompagner et prendre la succession de l’ancien édile, une vie de banquière, de mère et une autre à se démener dans le milieu associatif. Elle a rejoint la fonction dans une situation de pandémie mondiale mais ne renonce pas à ses ambitions : faire revivre le cinéma-théâtre de la Renaissance, adapter la ville au développement durable, se pencher sur la qualité de vie des tropéziens tout au long de l’année... Il y avait ces chantiers et bien d’autres. Elle n’était pas inquiète. “Il faut garder en mémoire que, même dans les temps anciens, dans un port aussi florissant que l’était notre cité, où le commerce maritime et la navigation au long cours tenaient une place prépondérante, lorsque les maris, les fils, les frères partaient en mer, parfois, pour de très longs périples, c’étaient les femmes qui géraient les affaires familiales” me dit-elle pour que je n’oublie pas l’importance du rôle des femmes à Saint-Tropez. Nous étions sur la même longueur d’onde. Je lui posais alors cette toute dernière question qui me tient à cœur : que préférait-elle faire dans la ville quand elle ne travaillait pas ? “Le tour de la Citadelle en surplombant Les Canebiers, les Graniers, la Ponche, redescendre par le Cimetière jusqu’à la plage. C’est juste sublime. Enfant, c’était mon quartier.” Une déambulation sur la terre de ses souvenirs, en quelque sorte. Comme mon héroïne.

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